Lyon : 1 000 policiers au tribunal, la bombe à retardement pour le budget de l’Etat

Lyon : 1 000 policiers au tribunal, la bombe à retardement pour le budget de l’Etat

Des milliers de policiers ont attaqué en justice leur ministère de
tutelle pour avoir méconnu une décision du Conseil d’Etat. Selon des
informations recueillies auprès de la Cour des comptes, le passif
pourrait représenter plus de 100 millions d’euros pour le budget de
l’Etat.

C’est un raz-de-marée. Selon nos informations exclusives, à Lyon, près de 1000 policiers ont entamé une procédure devant le tribunal administratif en réparation d’un préjudice qui pourrait coûter cher au budget de l’Etat.

Si la juridiction administrative lyonnaise semble concentrer le plus grand nombre de dossier contentieux, le phénomène s’étend à tout le pays. 600 dossiers seraient instruits à Lille. Près de 300 à Bordeaux. La plupart des tribunaux administratifs sont touchés.

Ancienneté
Les fonctionnaires de police qui travaillent dans des quartiers difficiles ou dans des zones urbaines sensibles se plaignent de la non-application par l’Etat de l’article 11 de la loi du 26 juillet 1991.

Les dispositions de cette loi sur la fonction publique octroient aux fonctionnaires de l’Etat un avantage spécifique d’ancienneté – ASA en jargon administratif –  qui consiste en une bonification d’ancienneté pour les agents qui travaillent dans des zones où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles.

Après trois ans en zone sensible, les agents gagnent trois mois d’ancienneté, puis deux mois pour chaque année supplémentaire effectuée. La carrière des fonctionnaires étant réglé par un système d’avancement à l’ancienneté, la bonification de l’ASA se mesure immédiatement sur leur fiche de paie.

Rupture d’égalité
 Mais un arrêté interministériel pris en 2001 par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin a cru bon limiter les quartiers difficiles aux seuls "secrétariats généraux pour l’administration de la police [SGAP] de Paris et de Versailles", écartant du même coup la masse des policiers qui ne travaillent pas dans les deux SGAP franciliens. Une drôle de vision de la France et de ses quartiers démentie, comme si c’était nécessaire, par les émeutes de banlieue quatre ans plus tard.

Mais dans l’intervalle, des milliers de policiers étaient de fait écartés des bénéfices de l’ASA. Jusqu’à ce qu’une fonctionnaire de police de Dreux (Eure-et-Loir) attaque l’arrêté interministériel de 2001 devant le Conseil d’Etat et obtienne gain de cause en 2011. La plus haute juridiction administrative a jugé l’arrêté illégal en considérant qu’il commettait une "erreur de droit" en introduisant une rupture d’égalité.

Depuis, des milliers de fonctionnaires de police, bien aidés par les syndicats de police et en particulier Alliance, se sont engouffrés dans la jurisprudence du Conseil d’Etat en attaquant, eux-aussi, l’arrêté de 2001. Ils réclament au passage que leur situation soit analysée rétrospectivement. Les tribunaux administratifs n’ont d’autre choix que de leur donner raison. Les condamnations contre l’Etat pleuvent.

Plus de 100 millions d’euros
L’Etat a inscrit ce contentieux dans son budget en 2012 avec un passif de 95 millions d’euros. Mais "une partie des sommes initialement budgétées en 2012 pour cette régularisation a servi au paiement d’heures supplémentaires", s’étonne la Cour des comptes dans son analyse de l’exécution du budget de l’Etat. En 2013, c’est 18 millions d’euros qui ont été programmés pour régulariser l’ASA et près de 19 millions pour 2014.

Mais le passif reste difficile à mesurer tant les procédures se multiplient devant les tribunaux. "Aujourd’hui, la négociation sur ce dossier est difficile avec le ministère de l’Intérieur. Nous avons des menaces. Le ministère nous demande par exemple de cesser les contentieux sinon il risque de modifier  les critères de bénéfices de l’ASA. C’est un chantage. Dans mon cas personnel, l’ASA représente 38 mois de salaires !", s’étrangle Laurent Nouvel, le secrétaire départemental du syndicat de police Alliance dans le Rhône.

Un magistrat sous couvert d’anonymat s’agace de l’inertie de l’Etat sur cette question. "Nous n’avions pas besoin d’une inflation de notre contentieux. On ne peut plus faire face. Les dossiers à traiter deviennent trop nombreux. D’autant que ces procédures naissent qu’en raison d’un dysfonctionnement de l’administration. Lorsqu’une administration fonctionne bien et qu’elle rencontre un problème, elle le règle. Or, là, les années passent et le problème demeure. Juridiquement, c’est imparable pour les policiers mais les cours administratives n’auraient jamais dû connaître ces dossiers".

Nouvelle carte des zones difficiles ?
Le ministère de l’Intérieur qui n’a pas répondu à nos sollicitations s’est toutefois engagé à réformer l’arrêté qui ne fixait les quartiers difficiles qu’à Paris et Versailles.

En réponse à une question de Jean-Pierre Grand, sénateur Les Républicains de l’Hérault, Beauvau explique "procéder à des analyses statistiques fines de manière à répondre aux exigences législatives et réglementaires sur la base de critères objectifs. Il s'agit d'un exercice long et complexe, qui suppose de recenser au préalable, sur plusieurs années, sur l'ensemble du territoire national et pour l'ensemble des directions de la police nationale des données relatives aux différentes formes de délinquance. Ce n'est qu'à partir de ce nouvel arrêté que pourra être réexaminée, le cas échéant, la situation des agents en fonction de leur lieu d'affectation".

En creux de cette novlangue bureaucratique, il faut comprendre que le ministère de l’Intérieur s’est engagé à définir une nouvelle cartographie des quartiers sensibles. Faut-il espérer que ce travail ait pour aiguillon la réalité du terrain plutôt que les sommes qui seront à verser aux fonctionnaires de la police nationale.

Slim Mazni