Lyon : Marine Le Pen ou la défaite de l’antiracisme

Lyon : Marine Le Pen ou la défaite de l’antiracisme

Ce mardi, Marine Le Pen a quitté la 6e chambre du tribunal correctionnel de Lyon avec la clémence du procureur de la République qui a requis la relaxe à l’encontre de la présidente du Front National. Au terme des débats, on s’interroge sur l’utilité d’un tel procès voulu par les associations de lutte contre le racisme.

S’agissait-il d’un procès utile ? Mathieu Henon, l’avocat du Mrap, a confessé ne « pas savoir quoi répondre à cette question ». Marine Le Pen était renvoyée devant le tribunal correctionnel de Lyon pour des propos tenus le 10 décembre 2010 dans lesquels elle comparait les « prières de rues » de musulmans à une « occupation ».

 

Quatre associations antiracistes (Mrap, Licra, la Ligue de Défense Judiciaires des Musulmans (LDJM), Collectif contre l’islamophobie en France) et le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) ont décidé de poursuivre la présidente du FN pour incitation et provocation à la haine raciale.

 

Mais Marine Le Pen, qui aurait pu tout aussi bien laisser son avocat, Me David Dassa-Le Deist, plaidait sa cause en son absence, a décidé d’utiliser le prétoire de la 6e chambre correctionnelle du TGI de Lyon comme d’une tribune politique. Pouvait-il en être autrement ?

 

Le FN, les Anciens et les Modernes

L’audience a été une occasion de plus donnée à Marine Le Pen de faire étalage de sa stratégie de dédiabolisation du FN. A l’époque des propos incriminés, Marine Le Pen était candidate pour la présidente du Front National et faisait campagne contre Bruno Gollnish, autre prétendant. La présidente du parti d’extrême-droite a expliqué au tribunal que ses propos sur les prières de rue faisaient référence à la lutte entre les Anciens et les Modernes qui fait rage au sein du FN en quelque sorte.

 

 « Au sein du FN, nous avions une divergence politique qui est celle que j’ai exprimée à plusieurs reprises qui est cette référence à la seconde Guerre Mondiale, qui est de se tourner vers le passé pour engager des débats. A mon sens, le nouveau président du FN devait s’atteler au présent et non s’engager sur des débats du passé. J’ai un conflit sévère avec le président du FN de l’époque [son père, Jean-Marie Le Pen] sur l’Occupation allemande. Bruno Gollnish [son concurrent] a toujours défendu les positions de Jean-Marie Le Pen. Et je veux dire aux adhérents du FN, en forme de clin d’œil, que ceux qui se passionnent pour le sujet de l’occupation, parlons des sujets d’aujourd’hui. L’occupation de quartiers entiers par des mafias et des trafiquants de drogue qui nuisent à l’autorité de l’Etat et aux valeurs de la République. Il n’y a aucune référence à la deuxième Guerre Mondiale » a longuement développé Marine Le Pen.

 

Au sens propre, ses propos d’alors étaient les suivants : « Je suis désolée mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s'il s'agit de parler d'Occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c'est une occupation du territoire. C'est une occupation de pans du territoire, des quartiers, dans lesquels la loi religieuse s'applique, c'est une occupation. Certes, il n'y a pas de blindés, pas de soldats, mais c'est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants ».

 

La jurisprudence des sophistes

En permettant à Marine Le Pen de venir faire cette clarification à la barre du tribunal, les associations antiracistes, nonobstant l’opportunité donnée à Marine Le Pen de faire œuvre de démagogie en rappelant sur sa stratégie de dédiabolisation politique, risquent de réarmer à nouveau une jurisprudence favorable aux grands rhéteurs de la provocation et aux sophistes de la haine raciale et de la crispation identitaire.

 

En requérant la relaxe de la prévenue, le procureur de la République, Bernard Reynaud, ne s’est en effet pas prononcé au doigt mouillé. Il a convoqué le droit et une jurisprudence récente qui avait permis de relaxer le caricaturiste Siné ou l’écrivain Michel Houellebcq.

 

Le rappel de la Commission Stasi

Dans l’édition du 11 juin 2008 de Charlie Hebdo, Siné avait écrit les propos suivants qui lui ont valu des poursuites devant le tribunal correctionnel de Lyon : “De plus en plus les musulmans m'insupportent et que plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j'ai envie de leur botter violemment le cul. J'ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante, et véritables épouvantails contre la séduction! Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n'ont rien à leur envier point de vue disgracieux. Ils rivalisent de ridicule avec les juifs loubavitchs ! Je renverserai aussi de bon coeur le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de manger du cochon à la cantoche”

 

Le tribunal avait relaxé le caricaturiste en relavant qu’il “convient de relever qu'un propos peut être choquant sans être provocant au sens d'une provocation à un passage à l'acte ou à un rejet sentimental”. C’est au mot près, l'argument retenu par le procureur Reynaud dans ses requisitions à l'égard de Marine Le Pen.

 

Quant à Michel Houellebecq qui avait déclaré que "l'islam est la religion la plus con", la 17e chambre correctionelle du TGI de Paris avait considéré dans son jugement que ces propos ne revenaient "nullement à affirmer ni à sous-entendre que tous les musulmans devraient être ainsi qualifiés. Ce propos ne renferme aucune volonté d'invective, de mépris ou d'outrage envers le groupe de personnes composé des adeptes de la religion considérée".

 

"La juridiction parisienne n’a pas jugé la hauteur de vue, ni la subtilité de la formulation de Michel Houellebecq mais a considéré qu’il n’y avait pas d’incitation à la haine envers des tiers" a estimé procureur de la République avant de rappeler et de citer le rapport de 2003 de la Commission présidée par Bernard Stasi chargée de réfléchir à l’application du principe de laïcité dans la république : "Par-delà le statut des cultes, l’exigence laïque demande aussi à chacun un effort sur soi. Le citoyen conquiert par la laïcité la protection de sa liberté de conscience ; en contrepartie il doit respecter l’espace public que tous peuvent partager".

Une man